La femme qui va nous sauver du cancer
Focus sur Patrizia Paterlini-Bréchot
Depuis plus de vingt ans, elle cherche dans son laboratoire une solution pour éradiquer le cancer. Elle l’a trouvée. La cancérologue Patrizia Paterlini-Bréchot a mis au point un test qui, par une prise de sang, permet de le détecter. Une victoire pour cette femme.
A première vue, c’est une machine anodine, elle ressemble à une imprimante 3D. Et pourtant, elle pourrait bien changer nos vies. Cette grande boîte permet de réaliser les tests Iset*, qui par une simple prise de sang diagnostiquent précocement un cancer, une invention qui commence seulement à être mise sur le marché. « C’est révolutionnaire », assure Olivier Roy, pharmacien biologiste dont le laboratoire, à Paris, est le seul, pour l’instant, à proposer ces tests. « Quand on pourra répondre à la demande de tous, et partout, cela va augmenter l’espérance de vie de l’humanité. » Pas moins.
A l’origine de cette découverte, Patrizia Paterlini-Bréchot, professeure de biologie cellulaire et d’oncologie à la faculté de médecine Necker-Enfants malades (université Paris-Descartes). Une femme chaleureuse et humble dont on murmure qu’elle pourrait être sur les rangs du prix Nobel de médecine. Ce qui ne la trouble pas plus que ça. « Mon immense chance, dans cette vie, serait, une fois le test mis à disposition à large échelle, de voir baisser la mortalité par cancer. »
Patrizia Paterlini-Bréchot, une combattante acharnée
Enfant, déjà, Patrizia avait une obsession qu’elle ne peut pas expliquer : guérir ses petits camarades.
J’ai toujours été choquée par la douleur, je la sentais sur ma peau. J’étais en rébellion contre la mort.
Elle fait en toute logique des études de médecine dans sa ville natale, Modène, en Italie, et se spécialise en oncologie. Certainement pas par hasard. « C’est vrai que c’est une maladie qui fait peur. On a le sentiment qu’une personne prise par le cancer l’est par une force plus grande qu’elle. Un sentiment aigu contre lequel il faut se battre. » Mais la réalité est brutale : impuissante face à la mort de certains de ses patients cancéreux, elle se tourne vers la recherche clinique de haut niveau. « Il fallait comprendre comment le cancer se forme pour mieux le combattre. »
En 1988, elle rejoint alors, à Paris, le laboratoire du Pr Christian Bréchot, aujourd’hui directeur de l’Institut Pasteur, et tombe amoureuse. « Ce n’était pas prévu. Comme Ingrid Bergman est tombée amoureuse de Roberto Rossellini en voyant ses films, moi, c’est en lisant les articles scientifiques de Christian. » Depuis ils se sont mariés et ont eu deux fils. Pendant des années, à la tête de son laboratoire, qui compte 80 % de chercheuses, elle travaille sur ce qu’on appelle les cellules tumorales circulantes.
Notre espoir était de détecter l’invasion tumorale au tout début. Grâce à des études sur l’animal, on savait que ces cellules circulent dans le sang des années avant que les métastases apparaissent. Or les patients meurent à cause des métastases, pas de la tumeur primitive. Comme pour le virus du sida, ces cellules mutent, et à force de muter, elles sont de plus en plus résistantes parce qu’on leur en laisse le temps.
Et la chercheuse de faire l’analogie avec la conquête spatiale : pour une cellule tumorale circulante qui vient du sang, installer une colonie dans un os ou le foie, c’est comme, pour les humains, coloniser une autre planète, ça prend du temps. « Avant que ces cellules ne prolifèrent et donnent des métastases, il peut se passer des années. Et tout ce temps, on le laisse au cancer. J’ai vu cet énorme gâchis. La recherche, c’est du bon sens et de la détermination. » Et de l’acharnement pour décrocher des financements. « Responsable de mon laboratoire, j’ai frappé à toutes les portes afin de trouver de l’argent. »
Des patients déjà sauvés grâce au test ISET
Il aura donc fallu des années avant de mettre au point, en 2005, cette machine Iset ultrasensible puisqu’elle parvient à détecter une cellule tumorale dans dix millilitres de sang parmi cinq milliards de globules rouges et cent millions de globules blancs. Dans la foulée, elle fonde son entreprise, Rarecelles Diagnostics, mais les brevets appartiennent aux instituts publics de recherche (université Paris-Descartes, Inserm et AP-HP). « Nous avons mis la machine Iset à disposition d’autres équipes. Cela a déjà généré quarante-trois publications scientifiques. Nous avons voulu laisser le temps à la science indépendante, et non poussée par l’industrie, pour qu’elle développe ses résultats. »
Ainsi, l’équipe du professeur Paul Hofman, du CHU de Nice, a suivi pendant six ans une cohorte de patients à risques – des gros fumeurs atteints de bronchopathie pulmonaire. Grâce au test, les chercheurs ont détecté des cellules tumorales dans le sang de cinq d’entre eux bien avant que le cancer du poumon soit visible par radiologie. Ces patients ont été opérés et guéris. Une preuve de l’efficacité du test. « Un espoir formidable, une prouesse technique », déclare Marisol Touraine, ministre de la Santé, qui y voit « la promesse de bouleversements considérables dans la prise en charge du cancer parce qu’il est particulièrement simple d’utilisation, et donc facile à généraliser ».
Aujourd’hui, il est enfin commercialisé, dans une relative discrétion, mais avec le nombre de machines qui devrait augmenter en France en 2016, les demandes risquent d’affluer, même si le test facturé 486 € n’est pas remboursé par la Sécurité sociale**. « Je voudrais que demain ce soit un test de routine lors d’une prise de sang. Et qu’il soit remboursé. Ce sont d’énormes économies à court terme : si votre premier test est négatif, le cancer étant très long à se développer, si le suivant est positif, vous serez pris en charge très tôt. » Mais avant que son rêve se réalise, il faudra encore des années pour jongler avec les réglementations internationales, informer les médecins et former les anatomopathologistes qui analysent les tests.
Patrizia Paterlini-Bréchot cherche désormais des financements pour affiner son invention, « aujourd’hui, si on vous détecte des cellules tumorales circulantes, vous devrez passer des examens d’imagerie médicale ciblés pour dépister la tumeur. Selon vos prédispositions et vos antécédents, on commencera par exemple par le sein pour une femme et la prostate pour un homme jusqu’au scanner du corps entier si l’on ne trouve pas. Mais demain, on devrait pouvoir dire de quel organe elles proviennent et gagner ainsi du temps. » Le temps, l’ennemi numéro un de notre chercheuse : « Toute seconde perdue, ce sont des patients qui meurent. »