Cancer : La musique adoucit aussi les maux
15 novembre 2019
En focalisant l’attention des malades sur la musique plutôt que sur leurs souffrances, la musicothérapie parvient à soulager de nombreux effets indésirables des traitements anti-cancer. Découverte de ce soin de support qui gagnerait à être (re)connu.
C’est bien connu : la musique adoucit les mœurs. On l’a tous expérimenté : après une journée particulièrement stressante, rien de mieux que d’écouter son morceau favori, confortablement installé dans son canapé, pour ressentir instantanément un bien-être total. Un pouvoir quasi magique devenu soin grâce au développement de la musicothérapie, appliquée depuis peu à l’oncologie. « En décentrant l’attention des patients de leurs troubles pour la porter sur la musique, on parvient à diminuer leurs symptômes » explique Aude Menteaux, jeune musicothérapeute clinicienne qui exerce au sein de l’Institut du Cancer de Montpellier.
Un soin à la carte
Nausées, vomissements, douleurs, insomnie, troubles cognitifs, anxiété… Les applications de la musicothérapie semblent illimitées. « Nous disposons d’une palette importante d’outils qui nous permet de nous adapter à chaque patient » reconnaît Émilie Tromeur-Navaresi, musicothérapeute clinicienne, neuromusicothérapeute et vice-présidente de la Fédération Française de Musicothérapie (FFM). Un soin à la carte donc. Et nul besoin donc d’être fin mélomane féru d’opéra ou musicien talentueux pour en bénéficier. « Avant toute prise en charge, je rencontre le patient pour un entretien. Je lui pose des questions concernant son rapport à la musique : est-ce qu’il en écoute souvent, quel est son style préféré, est-ce qu’il joue d’un instrument… En fonction de ses réponses, je vais savoir quelle technique utiliser et vers quelle musique me tourner » explique Aude Menteaux. En amour comme en musique, tous les goûts sont dans la nature : il n’y a donc pas de règle. « La musique classique ne relaxe pas tout le monde » s’amuse la jeune musicothérapeute clinicienne.
Une approche à la fois « réceptive » et « active »
Dans la panoplie du musicothérapeute, on trouve « la bande en U ». Cette bande sonore, d’une durée de 30 à 40 minutes, est élaborée de façon personnalisée en fonction des goûts musicaux du patient. « Il peut s’agir d’extraits de musique classique, de films ou tout autre son, que je vais juxtaposer dans un ordre précis pour apporter une détente psychomusicale. Au fur et à mesure de la bande, les musiques vont être de plus en plus lentes et être composées de moins en moins d’instruments. Cet outil permet d’atteindre une relaxation profonde. C’est un peu comme l’hypnose mais on utilise la musique plutôt que les mots pour l’induire » explique la jeune musicothérapeute clinicienne. Et les résultats qu’elle obtient sont impressionnants. « L’une de mes patientes souffrait de nausées et de vomissements pendant la chimiothérapie. Alors, avant chaque cure, on écoutait « sa bande » et, lorsqu’elle arrivait à un état de relaxation, l’équipe d’infirmières venait poser la perfusion. » Une mise en œuvre qui demande une organisation orchestrée au métronome.
La musicothérapie est loin d’être une approche « passive » comme le précise la vice-présidente de la FFM : « On préfère parler de musicothérapie « réceptive » car le patient est toujours acteur de son soin. » Les séances sont en effet suivies d’un temps d’échange pendant lequel le malade met des mots sur son ressenti. « La musicothérapie offre un espace de parole et d’écoute, et la musique facilite la communication. On part de la musique pour verbaliser : je vais discuter avec le patient de ce qu’elle lui a évoqué comme souvenirs ou images mentales… » explique Aude.
La communication entre le patient et son thérapeute peut aussi être non verbale. Elle est alors médiée par un instrument. C’est l’approche « actif » de la musicothérapie. « On se sert le plus souvent de percussions car c’est facilement abordable. Cela passe par l’imitation mais aussi l’improvisation. C’est un jeu instrumental entre le patient et moi, dans les 2 sens. L’un inspire l’autre et inversement » raconte Aude (lire le témoignage : « Je me suis concentrée sur la musique plutôt que sur mes douleurs »).
« Je me suis concentrée sur la musique, plutôt que sur mes douleurs »
Laura est atteinte d’un cancer du sein métastatique qui lui cause des douleurs difficilement supportables. Pour la soulager, ses médecins lui proposent de tester une technique qui va détourner son attention de ses souffrances : la musicothérapie.
- Laura a 30 ans. On lui diagnostique un cancer du sein infiltrant. Il a déjà métastasé dans une de ses vertèbres. S’ensuivent chimio, radiothérapie, mastectomie. Deux ans plus tard, son cancer récidive. Des métastases se sont logées dans ses os, sa tête et son foie, lui causant des douleurs difficilement supportables. Ses médecins lui prescrivent des antalgiques et des séances d’hypnose mais rien n’y fait. « Un jour, on m’a proposé de la musicothérapie. Je n’avais aucune idée de ce en quoi ça consistait mais je me suis dit “ pourquoi pas ? ”. Après tout, ça ne pouvait pas me faire de mal. »
Transportée loin des douleurs
C’est ainsi qu’elle fait la connaissance de Aude, jeune musicothérapeute fraichement diplômée (lire notre article : « Cancer : la musique adoucit aussi les maux »). Elles échangent sur ses goûts musicaux « plutôt éclectiques ». Aude lui demande si elle a déjà joué d’un instrument de musique. « Quand j’étais ado, je jouais de la flûte traversière. Mais ça remontait à loin… » Suite à ce premier entretien, Laura participe à sa première séance de « détente musicale ». Casque sur les oreilles, yeux fermés, elle écoute une bande son instrumentale préparée par les soins de sa musicothérapeute. Percussions, piano, instruments à cordes, à vent… Pendant 20 minutes, la jeune femme est transportée. Loin de la maladie et de ses douleurs. Lorsque la musique s’arrête, Aude l’invite à parler de son ressenti. « La musique a cette faculté de nous faire passer d’un état émotionnel à l’autre. Certains airs me rendaient mélancolique, d’autres me donnaient envie de danser… Parfois j’avais l’impression de me retrouver dans un vieux film. » Ses retours permettent à la musicothérapeute d’affiner son approche.
Au fil des séances, Laura passe d’une écoute réceptive à une pratique active. « Aude a apporté une « boîte à malice » remplie d’instruments complètement atypiques que je n’arrivais même pas à identifier. Il en avait à gratter, d’autres à secouer… Et j’ai dû en jouer pour accompagner une bande sonore qu’elle avait préparée. » Bâton de pluie, maracas, claves, Cajon, tube wah wah… Pas évident de se les approprier. La jeune femme est bloquée par ses propres peurs. Peur de mal faire, de paraître ridicule. « Et puis je me suis lâchée, j’y suis allée au feeling. Je me suis concentrée uniquement sur la musique, plutôt que sur mes douleurs. Ça m’a fait du bien. » Et c’est bien là le rôle de la musicothérapie : déconnecter le malade de ses souffrances.
Un effet hypnotique
Un jour où la jeune femme se sent un peu fatiguée. La musicothérapeute lui joue d’un instrument étrange. « Une sorte de boule sur laquelle elle appuyait et qui émettait des sons qui ressemblaient à celui des bols tibétains. » Il s’agit d’un « hapi drum ». Une percussion en métal au son vaporeux et enveloppant. Son effet sur Laura est hypnotique. « Quand j’ai réouvert les yeux, j’ai eu l’impression d’être partie ailleurs. C’était régénérant. »
Mais les effets de la musicothérapie sont temporaires. Alors Aude propose à Laura de réaliser une « bande en U » : une bande sonore composée à la carte avec les musiques et les sons que la jeune malade aime. « Nous travaillons encore dessus. Récemment je lui ai demandé de remplacer certaines musiques qui me rendaient mélancoliques. Quand elle sera terminée, je pourrai l’écouter chez moi, quand je n’irai pas bien, et m’évader dans un univers sans douleurs. »
Un soin qui ne s’improvise pas
Malgré les apparences, la musicothérapie ne s’improvise pas. Il ne suffit pas d’être doué avec les notes pour devenir thérapeute. Aude peut en attester. Elle était musicienne professionnelle et enseignante en école de musique depuis 10 ans lorsqu’elle a opéré sa reconversion. « En tant qu’enseignante, je m’étais aperçue que la musique apportait du bien-être, notamment aux enfants avec des troubles du développement. Mais je voulais partager ma passion autrement, dans un cadre moins scolaire. » Alors elle reprend ses étude à l’Université de Montpellier. Pendant 3 ans, elle découvre les pathologies auxquelles elle sera confrontée, apprend à évaluer les capacités d’un malade, à se positionner par rapport au patient, comment la musique peut influer sur le corps et l’esprit, les différentes techniques de musicothérapie…
L’été dernier, elle décroche son Diplôme Universitaire de musicothérapeute clinicien – l’une des rares formations validées par la FFM – qui lui permet d’exercer en milieu hospitalier. Mais la profession n’est pas encore reconnue par l’État, ce que déplore Émilie Tromeur-Navaresi : « Notre Fédération existe depuis 2003 et nous travaillons pour que l’usage du titre de musicothérapeute soit réglementé. Nous agissons aussi pour que les formations soient harmonisées. Actuellement, 6 formations – 3 privées, 2 diplômes universitaires et un master – respectent notre cahier des charges en matière de contenu, de volume horaire et de stage. » La journée européenne de la musicothérapie qui aura lieu le 15 novembre devrait donner un peu de visibilité à ce soin de support qui gagnerait à être mieux (re)connu.