Marathonienne, comédienne, auteure… Elles se sont réinventées après leur cancer du sein

Par Ophélie Ostermann | Le 23 octobre 2017

Après avoir bouleversé leur vie, le cancer du sein leur a ensuite servi de tremplin, pour se réinventer. Quatre femmes nous livrent leur témoignage.

 

Le 18 septembre 2016, Anaïs Quemener remporte les Championnats de France de marathon à Tours. 42 km en 2h55 et 26 secondes. Une victoire sportive qui force le respect, comme tant d’autres. Mais celle-ci résonne différemment dans le cerveau de la coureuse. Elle la gagne après sept mois de chimiothérapie destinés à réduire et détruire les cellules cancéreuses logées dans son bras et son sein gauche, et après l’ablation de ce dernier.

Anaïs Quemener a fait partie des 54.000 nouveaux cas de cancer du sein – le plus fréquent chez la femme – chaque année en France (1). Elle fait aussi partie de celles à qui l’annonce du diagnostic a coupé le souffle, mais qui en ont récupéré un second, plus puissant, après le combat contre la maladie. Quatre d’entre elles nous racontent comment leur chute a progressivement laissé place à leur renaissance.

Le grand chamboulement

On m’a dit que j’allais être chauve, ménopausée, stérile… J’ai congelé trois ovocytes

Marjorie Jacquet

 

Pour ces femmes jeunes, à première vue sans antécédents familiaux, il a d’abord fallu encaisser avant de prendre les armes. Anaïs Quemener apprend qu’elle souffre d’un cancer du sein à 24 ans, après avoir senti une grosseur dans la poitrine, qui n’a cessé de se développer jusqu’à dépasser de son soutien-gorge. Adepte de course à pied depuis ses 8 ans, l’annonce tombe quand la sportive a atteint son meilleur niveau, pulvérisant au passage ses objectifs de compétition.

À l’instar d’Anaïs, Noémie Caillault fait également partie des petits 3% des femmes qui développent un cancer du sein avant 35 ans (2). Quand on lui annonce le mal dont elle souffre, elle a 27 ans, et prend des cours de théâtre pour devenir comédienne. Aujourd’hui, la trentenaire est de plus en plus médiatisée en raison du spectacle qu’elle a tiré de son cancer, intitulé Maligne. Marjorie Jacquet, ancienne attachée de presse dans la mode et auteure de Les cheveux dont je rêvais (Éd. Max Milo) (3), a aussi vu son quotidien retourné par la nouvelle. La femme a 38 ans quand elle se retrouve assise dans le bureau de sa gynécologue et écoute le verdict. Verdict qui balaie une indépendance établie depuis longtemps et remet certains sujets à l’ordre du jour : «Tout s’est enchaîné très rapidement. On m’a dit que j’allais être chauve, ménopausée, stérile… J’ai congelé trois ovocytes», se souvient l’auteure. Sa tumeur est impalpable, elle n’aurait jamais pu la sentir au toucher.

Le déclic

Mes directeurs m’ont convoqué et m’ont dit « on va t’aider à écrire ton histoire »

Noémie Caillault

Une fois l’annonce passée, les têtes se relèvent plus ou moins facilement, plus ou moins rapidement. Dans le cerveau de Cécile Pasquinelli Vu-Hong, fondatrice de Garance, marque de lingerie fine et de maillots de bain pour les femmes porteuses de prothèses mammaires, le déclic se produit quand on lui enlève son sein, il y a sept ans. «À l’époque, on ne m’explique pas trop. Au sortir de l’hôpital, j’ai une ordonnance pour acheter une prothèse externe mais je ne sais pas où aller», se remémore-t-elle. Après avoir pénétré dans une orthopédie, elle fait face à un manque de choix, des prothèses lourdes, larges, qui dépassent du sous-vêtement, «un look très médical dans lequel je ne me retrouvais pas», commente-t-elle. Lors de son premier été, elle se retrouve au bord d’une piscine. «J’étais la seule à me retrouver dans un truc qui ne me ressemblait pas, je me suis dit qu’il fallait faire bouger les choses», indique-t-elle. Elle se lance dans l’entreprenariat durant son arrêt maladie, établit des business plan, apprend à construire des vêtements, trouve des usines qui peuvent chiffrer la production…

Anaïs n’a pas réfléchi très longtemps. Sportive depuis l’enfance, il lui est naturel de continuer malgré les traitements. En revanche, l’écriture ne s’impose pas comme une évidence pour Marjorie. La lumière s’allume quand elle traverse la période la plus noire de la maladie, comme pour dire «stop». «En 15 jours de chimio j’avais perdu mes cheveux et je n’avais plus aucun contrôle sur mon corps. J’ai eu des ulcérations dans la bouche, je ne pouvais ni manger, ni parler. C’est à ce moment là que je me suis dit que je ne pouvais pas me laisser abattre. Et j’ai écrit jour et nuit dans mon lit, dans l’urgence», relate-t-elle. La comédienne Noémie Caillault est portée par les autres. En l’occurence, les directeurs du théâtre de la Pépinière où elle travaille en tant que caissière. «Après l’annonce, j’ai arrêté les cours de théâtre, mais je continuais à travailler pour gagner ma vie. Un jour, mes directeurs m’ont convoquée et m’ont dit « il faut que tu racontes ton histoire, on va t’aider »», se rappelle-t-elle. Sur le moment, la jeune femme se demande : «Qu’est-ce-qu’on en a à faire de mon cancer ?». Quelques heures plus tard, elle finit par leur faire confiance et écrit.

Une aide pour survivre

J’avais mes deux bras, mes deux jambes. Un sein ce n’est pas vital

Anaïs Quemener

Au vue des projets entrepris pendant leur combat contre la maladie, on souligne le courage, la force mentale, un caractère combatif. Elles ne contredisent pas, mais garantissent que nous sous-estimons nos ressources, «un instinct de survie», évoque même Marjorie Jacquet. L’âge, moins de 30 ans pour certaines d’entre elles, favorise aussi certainement la bataille.

Cette bataille permet d’ailleurs à toutes de garder la tête hors de l’eau. D’abord, pour une raison simple : cela occupe et optimise le temps. Chaque jour, y compris ceux consacrés à ses séances de chimio, Anaïs court 45 minutes ou fais du vélo, en adaptant l’effort à son état de fatigue. «C’était vraiment une échappatoire, ça m’a aidé pour moitié à supporter les traitements. Et puis quand j’étais avec mon club, je n’avais pas l’impression d’être malade», explique-t-elle. D’un caractère optimiste, elle avoue dédramatiser souvent : «Je rassurais mes parents, je leurs disais que je n’avais pas de problème de cœur, que j’avais mes deux bras, mes deux jambes. Un sein ce n’est pas vital. J’en riais même avec mes amis du club, je leur disais « je serai plus légère ! »».

Pour la comédienne Noémie Caillault, l’écriture s’est révélée une thérapie, une forme de lâcher prise. Le projet qu’est la création de sa marque de lingerie est indispensable pour Cécile Pasquinelli Vu-Hong. Elle l’explique : «je me levais le matin et je n’étais pas qu’une malade. Moi qui ai toujours travaillé, je me suis retrouvée avec le syndrome de la femme au foyer, à ne plus rien avoir à raconter. La maladie vous désociabilise, on vous met des rendez-vous dans votre agenda sans vous demander votre avis.»

« Avant, je n’aurais jamais quitté mon job »

La maladie m’a donné la force de m’émanciper

Marjorie Jacquet

Après les traitements, les retours au travail sont souvent douloureux et éreintants. Beaucoup se retrouvent déconnectées, bien qu’elles retrouvent leur poste : «J’étais épuisée. Quand vous travaillez dans un grand groupe, tout va tellement vite. Après vous être absentée, vous revenez, vous perdez tout», se souvient Cécile Pasquinelli Vu-Hong. «J’ai retrouvé des horaires, mon boss… J’en venais à me sentir mieux chez moi pendant l’écriture de mon livre. Au moins j’étais libre, dans un cocon», décrit Marjorie Jacquet.

Alors cette dernière ne perd pas de temps et décide de devenir auto-entrepreneure. Désormais, elle est à la tête d’un e-shop de décoration marocaine, et passe le plus clair de son temps entre Paris et Marrakech. À 41 ans, et en rémission, elle assure que la maladie a été un tremplin. «Avant, je n’aurais jamais quitté mon job. Elle m’a donné la force de m’émanciper. Je travaille différemment, je suis aussi moins attachée aux biens matériels. J’ai envie d’une meilleure qualité de vie», dit-elle.

Cécile est sortie d’affaire. Il y a cinq ans, les modèles Garance commencent par se vendre dans quelques pharmacies, ensuite sur un e-shop, puis dans sa boutique showroom située dans le XIIIe arrondissement de Paris. Désormais, l’enseigne Monoprix en vend également dans quelques un de ses points de vente. Pour la fondatrice, 2018 sera tournée vers l’international. Anaïs n’est pas encore en rémission. Pendant ses traitements, les réseaux sociaux l’ont beaucoup aidée. Elle continue d’y faire de la prévention, tout en préparant les championnats nationaux 100 km de marathon en avril 2018. Noémie Caillault est en rémission et sous hormonothérapie. Quand on lui demande ce que son spectacle lui a apporté, la comédienne est claire : «Maintenant je vis de ce que j’aime. Je suis passée d’un malheur à un bonheur. Sans prétention aucune, en sortant de la salle, certaines personnes me disent « merci, grâce à vous j’ai réussi à en parler à mon mari ». Alors si je peux aider ou faire du bien à certaines…»

Aucune ne souhaite donner des leçons ou livrer un mode d’emploi pour «vivre la maladie». Toutes, en revanche, invitent à avoir confiance en ses propres ressources, souvent sous-estimées.

(1) Selon l’Institut national de veille sanitaire.
(2) Chiffres de l’Institut Curie.
(3) Les cheveux dont je rêvais, de Marjorie Jacquet, (Éd. Max Milo), 19, 90 €.