Alexia Cassar, celle qui développe le tatouage 3D de reconstruction mammaire
Par Elodie Bousquet
le 07/04/2017
Elle est à ce jour la seule tatoueuse européenne formée au tatouage 3D de reconstruction mammaire. Sur KissKissBankBank, elle a lancé un appel aux dons pour ouvrir, en région parisienne, le premier salon de tatouage consacré aux survivantes du cancer du sein.
À presque 40 ans, elle s’apprête à ouvrir un nouveau chapitre de sa vie. Elle, c’est Alexia Cassar, ex-chercheuse spécialisée en oncologie, passée un temps par l’industrie pharmaceutique et depuis reconvertie dans le tatouage, un art qui a agi pour elle comme « une psychothérapie accélérée » dans les moments difficiles de sa vie dont la maladie de sa fille, une leucémie, diagnostiquée à seulement 10 mois.
Une « épreuve de la vie » qui lui donne alors l’envie de la vivre à fond, « avec empathie et sympathie », deux qualités humaines qu’elle place aujourd’hui au cœur de son projet de reconnaissance du tatouage 3D de reconstruction mammaire. Une technique bien précise initiée par le tatoueur Vinnie Myers il y a plus de 15 ans aux États-Unis, qui peine encore à s’installer en Europe.
Soutenue par le milieu médical, dont le centre de lutte contre le cancer Gustave Roussy, Alexia à a ce jour pu tatouer 6 survivantes du cancer du sein. Pas assez quand on sait qu’environ 20.000 femmes subissent chaque année en France une mastectomie. Elle nous explique son appel au crowdfunding pour The Téton Tattoo Project, lancé sur KissKissBankBank.
« C’est un pari peut-être un peu fou mais il m’a semblé logique après avoir expérimenté le tatouage de reconstruction mammaire dans les endroits où il est actuellement pratiqué. À l’hôpital d’abord, où les patientes en reconstruction mammaire sont logiquement orientées. Là-bas, ce sont majoritairement des infirmières et des internes formés à la dermopigmentation médicale qui procèdent au dessin des aréoles. L’inconvénient pour les patientes, c’est justement ce retour en milieu hospitalier qui est d’ailleurs amené à se répéter tous les deux ans environ puisque le tatouage médical s’estompe petit à petit.
Certaines esthéticiennes sont également formées à ces techniques mais l’institut de beauté ne se prête pas forcément à un acte aussi « psychologique ». Idem pour les salons de tatouage classiques. Je l’ai moi-même expérimenté avec mes premières reconstructions : il n’y a pas vraiment d’intimité, ce n’est pas un acte dont on a l’habitude dans ces milieux où l’on considère le tattoo d’abord comme un art ».
Vous êtes aujourd’hui la seule spécialiste formée au tatouage 3D de reconstruction en Europe. Quelle est la spécificité de cette technique ?
« La principale différence avec le tatouage de reconstruction classique ou tatouage médical, réside dans les pigments utilisés. Dans le cas du tatouage 3D de reconstruction, on utilise les mêmes pigments que ceux utilisés dans les salons de tatouage. Ce sont des pigments permanents qui, à la différence des pigments médicaux labiles utilisés à l’hôpital, ou des pigments qui servent au maquillage semi-permanent en institut, ne vont pas s’estomper au fil du temps. C’est donc un acte définitif qui permet aux ex-patientes de retourner à leur vie.
L’autre spécificité de ce tatouage réside dans l’approche artistique : la technique du dessin 3D, qui confère son réalisme au tatouage, s’apprend. C’est ce que je suis allée chercher dans la formation que j’ai reçue de la tatoueuse nord-américaine Stacie-Rae Weir. C’est d’ailleurs grâce à ce réalisme que les femmes peuvent par exemple se passer de la reconstruction du téton, qui consiste en une opération assez douloureuse puisqu’on prélève des lambeaux de peau au niveau des parties intimes pour les greffer sur le sein. »
Avec le tatouage 3D, on recrée visuellement les volumes.
Comment expliquez-vous qu’elle soit encore si peu répandue en Europe ?
« Les tatoueurs ne sont pas forcément intéressés par la reconstruction mammaire. C’est un constat sans jugement. Simplement, le tatouage se vit pour la majorité d’entre eux comme un art, pas comme un acte « esthétique » qui viendrait compléter un geste médical. Et puis il faut être sensible au sujet. Le dessin de reconstruction est souvent lourd de sens et d’espérances pour les femmes guéries. Elles ont donc besoin d’être très écoutées. »
C’est un peu la dernière étape sur le chemin du retour à la féminité.
Comment se passe une séance de tatouage 3D de reconstruction mammaire ?
« Actuellement, je pratique la technique tous les mardis dans un centre médical. Avec mon projet de salon 100% dédié, je pourrai optimiser mon planning, sans toutefois faire du non stop. Je ne veux pas banaliser le geste.
Ce que je veux, c’est reconstruire la femme derrière le mamelon.
Pour cela, je les reçois pour un premier RDV qui dure environ 4 heures. Généralement, nous avons au préalable échangé par mail ou téléphone. Je leur demande aussi de m’envoyer des photos de leur(s) sein(s) reconstruit(s).
Sur le moment, nous discutons encore beaucoup, elles me racontent leur parcours. Je leur propose un dessin, on l’ajuste ensemble. Puis je procède à la sélection de pigments pour me rapprocher au maximum de la couleur initiale des mamelons. L’acte en lui-même dure environ 30 minutes. Je leur demande toujours de revenir me voir 3 mois plus tard pour procéder à des retouches. Généralement, on constate un éclaircissement du dessin de 20 à 30%. Je modifie donc un peu le contraste et ensuite, c’est terminé. Pour de bon. »
Concrètement, combien ça coûte ?
« Je facture 400 euros pour le tatouage 3D d’un sein, 600 euros pour les deux seins. Cette somme n’est pas remboursée par la Sécurité sociale qui dédommage seulement le tatouage médical, à hauteur de 125 euros. »
Que se passe-t-il lorsque ces femmes se découvrent après la séance ?
« C’est toujours un moment très émouvant. J’en ai des frissons à chaque fois que j’en parle. Vous les voyez arriver souvent courbées, elles se déshabillent sans même se regarder. Mais lorsqu’elles se découvrent dans le miroir, elles s’ouvrent, littéralement. Ce moment-là n’a pas de prix. »
J’ai à chaque fois l’impression d’assister à une renaissance.
Avec ce salon, envisagez-vous, à terme, d’enseigner la technique à votre tour ?
« Absolument ! Il y a un grand besoin de tatoueurs et de tatoueuses formés à la reconstruction. Je serais donc heureuse de pouvoir dispenser mon savoir-faire et mon expérience sur le sujet auprès de personnes vraiment intéressées. D’autant que je suis persuadée que ce geste, loin d’être anodin, doit être réalisé par des gens qui ont envie de le faire. »
Une activité tellement importante ,que j’espère voir se développer en Belgique et être accessible à toutes !
Dr Salima Bouziane.